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Comment la télévision et les jeux vidéo apprennent aux enfants à tuer

Tuer son prochain n’est pas un geste naturel. On doit apprendre à le faire. La thèse défendue par l’auteur est que, à travers la violence télévisuelle banalisée et les jeux vidéo du style «viser-tirer», nous conditionnons nos enfants à tuer de la même manière que l’armée ou la police conditionne son personnel à tuer, et, qui plus est, à tuer avec une efficacité effrayante!Un cri d’alarme documenté et convaincant, car, comme le dit l’auteur:«La violence n’est pas un jeu; la violence n’est pas amusante; la violence n’est pas une forme d’entraînement sportif; la violence tue.»

L’auteur de l’article en question, que Schadrack résume pour vous, est lieutenant-colonel de l’armée américaine, spécialiste militaire de la psychologie préalable nécessaire à l’acte de tuer et professeur de psychologie. Il éclaire son propos de son expérience militaire.

Durant la seconde guerre mondiale, une équipe de chercheurs découvrit que, lorsqu’ils avaient un ennemi en ligne de mire, seuls 15 à 20 % des fusillés tiraient vraiment. Le soldat moyen chargeait son arme, épaulait, mais au moment de vérité ne parvenait pas à tirer pour tuer; seul un petit pourcentage de soldats étaient donc naturellement capable de tuer. Par la suite, l’armée s’attaqua à ce «problème» avec succès, puisque le taux de tir monta à 55 % lors de la guerre de Corée et à plus de 90 % durant la guerre du Vietnam.

Les méthodes utilisées comprennent la brutalisation des soldats et leur désensibilisation, diverses mises en condition et l’usage de modèles.

Les recrues sont brutalisées et malmenées physiquement et verbalement; on les humilie, on les contraint à des efforts surhumains toujours sous les hurlements de sergents professionnels. Ceci vise à casser leurs habitudes et leurs normes, à leur faire adopter un nouveau style de vie et des nouvelles valeurs: la destruction, la violence et la mort. Au bout du compte, les recrues perdent toute sensibilité à la violence, qu’elles acceptent comme un savoir-faire normal, essentiel pour survivre dans le monde brutal qui est le leur.

Or nos enfants subissent un traitement similaire: dès qu’ils regardent la télévision - soit depuis l’âge de deux ans environ - ils voient tuer, poignarder, violer, brutaliser, humilier des personnes avec qui ils ont commencé à établir un rapport pendant la première partie du film. Or, les enfants ne sont capables de comprendre ce que faire semblant veut dire qu’à partir de 6-7 ans; même alors, leur développement mental est insuffisant pour faire clairement la différence entre la réalité et la fiction. Pour eux, les meurtres et la violence qu’ils «encaissent», c’est comme si cela se produisait vraiment. La télévision brutalise et désensibilise donc les enfants comme le sergent le fait avec ses recrues.

En juin 1992, une étude qui comparait des régions similaires au niveau ethnique et démographique, mais avec accès ou non à la télévision, a été publiée sur l’impact de la violence à la télé. Le résultat est sans appel: quand la télévision fait son apparition dans un pays, on observe une explosion de violence sur les terrains de jeux pour enfants, puis, quinze ans plus tard, un doublement du nombre des meurtres (c’est le temps qu’il faut à un enfant brutalisé par la télé à l’âge de 3 à 5 ans, pour atteindre l’âge du premier crime). L’étude concluait qu’à long terme, on pouvait attribuer à la télé la moitié environ des homicides.

Le conditionnement classique associe l’élément désiré à la notion de plaisir (comme les chiens de Pavlov qui salivaient au son d’une cloche, parce qu’ils avaient appris à l’associer à leur repas). Durant la seconde guerre mondiale, les japonais ont utilisé cette technique avec une efficacité horrifiante: alors que les prisonniers chinois ligotés étaient agenouillés dans une fosse, les officiers ordonnaient à certains soldats de les tuer à la bayonette. Les autres soldats devaient regarder et applaudir, puis tous étaient conviés à un repas hors du commun et à se réjouir avec une prostituée.

Ainsi associée à la notion de plaisir, cette technique subtile a appris aux soldats à aimer tuer et commettre des atrocités. Elle est si répréhensible d’un point de vue moral qu’on n’en trouve guère d’exemples dans l’armée américaine. Or, elle est appliquée à nos enfants par la télévision, qui leur inflige ce même conditionnement, à l’inverse de la thérapie rendue célèbre par le film «Orange mécanique»; on y voit un meurtrier en série obligé de regarder des films violents alors qu’on lui fait une injection provoquant des nausées. Quand la thérapie a été appliquée une centaine de fois, il associe instinctivement violence et nausée, ce qui réduit sa capacité de tuer. Au contraire, nos enfants plantés devant la TV apprennent à associer la violence et la mort au plaisir de siroter leur Coca et grignoter leur barre de chocolat préférée. En détruisant ainsi les défenses naturelles que les enfants opposent normalement à la violence, nous sommes en train de former une génération de barbares qui associent violence et plaisir, comme les Romains applaudissaient et mangeaient en regardant les chrétiens se faire massacrer dans l’arène.

La mise en condition opératoire, elle, joue puissamment sur le couple stimulus-réaction, qui garantit presque qu’en situation réelle, alors que la peur, la colère ou la panique s’installent, le stimulus va provoquer le réflexe souhaité. Cette technique est utilisée à toutes sortes de fins: les pilotes s’entraînent pendant des heures à réagir de telle manière si telle lumière de son écran s’allume, et de telle autre pour une autre lumière; dans les exercices incendie des écoles, les enfants apprennent à se mettre en file indienne et à sortir en bon ordre, ce qui leur sauvera probablement la vie en cas d’alarme véritable; l’armée et la police apprennent à leurs hommes à tuer de la même manière: non pas sur des cibles abstraites, comme en 39-45, mais sur des silhouettes humaines réalistes surgissant à l’improviste dans leur champ de vision. Les recrues n’ont qu’une fraction de seconde pour tirer: ... stimulus-réaction, stimulus-réaction, répété des centaines de fois, si bien que sur le champ de bataille ou en patrouille en ville, lorsqu’ils voient surgir un individu armé, ils vont tirer instinctivement.

Or, chaque fois qu’un enfant joue à un jeu vidéo du style viser-tirer, il apprend les mêmes réflexes conditionnés et exerce la même dextérité motrice. Un exemple vécu vous démontrera le mécanisme: Appelé comme expert lors d’un procès pour meurtre, j’expliquai au jury que sa longue pratique des jeux vidéo interactifs avait conditionné ce jeune accusé à utiliser une arme pour tuer. Ce jeune avait trouver amusant, avec un copain, de cambrioler l’épicerie locale; ils étaient donc entrés dans le magasin en pointant leur pistolet sur le vendeur. Lorsque celui-ci s’était tourné pour voir ce qui se passait, le jeune, à deux mètres, avait instinctivement appuyé sur la gâchette, le frappant à mort entre les deux yeux – une précision remarquable à une telle distance. Interrogé sur ce qui s’était passé et pourquoi il avait tiré, l’accusé a répondu: «Je ne sais pas. C’était une erreur. Cela n’aurait pas dû arriver.» Et les vidéos de la scène, enregistrées par six caméras de surveillance, montraient à l’évidence qu’il n’avait pas eu l’intention de tuer.

Dans la réalité de l’armée et de la police, la décision correcte est souvent de ne pas tirer, et ils apprennent ce discernement et cette maîtrise. Mais un enfant qui joue à un jeu vidéo ne le fait jamais dans l’intention de ne pas tirer. Ce genre de jeux produit toujours des stimuli déclencheurs de réactions; c’est pourquoi, dans l’épicerie et alors que son cœur battait la chamade et que la vasoconstriction a bloqué son cerveau frontal, ce garçon a fait exactement ce pourquoi il avait été conditionné: il a tiré avec la même précision que dans ses jeux.

La mise en condition opératoire est puissante et effrayante. Elle produit de plus en plus de sociopathes autodidactes, qui tuent d’instinct et n’éprouvent aucun remords. Même des enfants ou des jeunes qui n’ont aucune expérience des armes réelles, font des premiers cartons ahurissants, tirant avec une précision incroyable... grâce à leur longue pratique des jeux vidéo.

Un autre aspect néfaste de la violence télévisuelle est le rôle de modèle et de héros qu’elle joue dans la vie des enfants et des adolescents. Il a été constaté à bien des reprises, par exemple, que le nombre des suicides juvéniles augmentait grandement après la diffusion très médiatisée d’un suicide d’ado ou de vedette; la pensée chez l’ado est alors la suivante: «Je vais montrer à tous ces gens qui ont été salauds avec moi, que moi aussi je peux avoir ma photo à la télé.» Depuis lors, d’ailleurs, les chaînes TV sont beaucoup plus prudentes avec ce genre de reportage. Mais ce phénomène est aussi vrai avec d’autres formes de violence télévisuelle.

Au point où nous en sommes, que faire? se demande l’auteur.

Une répression musclée, comme à New York, contrevient aux libertés civiles; le contrôle et la réduction des armes n’est pas pour demain, tant les américains ont peur de cette violence très médiatisée et ne se fient guère à leur gouvernement pour la réduire. Cela devient un cercle vicieux : peur  à plus d'armes  à plus de violence à plus peur...

Une méthode plus simple consiste à éteindre sa télé quand on aime pas ce qu’on y voit. C’est efficace pour ceux qui la mettent réellement en pratique, mais ça ne les protège pas contre la violence de ceux qui ne juge pas utile de tourner le bouton!

On pourrait lutter contre la maltraitance des enfants, le racisme et la pauvreté, aider les familles monoparentales et celles qui sont en difficulté (où la télé joue souvent le rôle de baby-sitter), mais il faut, lui semble-t-il, s’en prendre aux producteurs et aux diffuseurs de violence télévisuelle et travailler à faire adopter des lois interdisant aux enfants les jeux vidéo qui exercent à tuer. Un jour, peut-être, les jurys américains se décideront à frapper les chaînes de télé là où ça leur fera mal: leur portefeuille.

Tiré d’un article de David Grossman paru dans Le Temps, édité en brochure par Jouvence Editions et résumé par Anne Kreis.

 

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