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Etat des lieux de «l’horreur-réalité»

Nous sommes en train d’assister, dans nos sociétés, à la normalisation de la cruauté. Voyez plutôt. Dans les années soixante-dix à deux mille, des rumeurs circulaient à propos des «Smuffs movies», petits films de tortures, viols et mises à mort réels; malgré les enquêtes, aucune preuve formelle n’a pu être apportée. Dès 2004, nous trouvons gratuitement sur le net des vidéos d’exécutions par des groupes islamistes; généralement ce sont des victimes égorgées et décapitées. Cela constitue de la propagande pour le monde musulman (recrutement, incitation à la haine et à l’action) et des avertissements pour le monde occidental (terreur, punition). Certaines de ces vidéos (Saddam Hussein, vidéos russo-tchétchènes) ont des visées plus politiques.

2012 illustration 12L’Occident s’habitue à voir ces violences, qui ont à la longue un effet anesthésiant sur la sensibilité des gens. Dès 2006 (2004 en Grande-Bretagne), le phénomène du «happy slapping», que nous pouvons traduire par «joyeuse claque», débarque chez nous. C’est la mise en scène filmée d’une agression ou d’une correction qui peut aller de la simple gifle d’un usager de train endormi jusqu’aux passages à tabac, aux viols et aux meurtres. Nous retrouvons le jour suivant ces petits films sur le net et sur beaucoup de portables dans les cours de récréation. Le but est simplement de s’amuser et de se faire valoir auprès du groupe.

Les commentaires des jeunes ou des adultes sur les forums de discussion concernant ces vidéos et les «Smuffs movies» sont éloquents; si quelques-uns s’en indignent, la plupart avouent s’amuser (après s’être habitués à ce genre de spectacles), réclament le droit à l’information ou ergotent sur des aspects techniques. La désensibilisation (ou déshumanisation?) a opéré!
Sommes-nous en train de revenir à la barbarie? S’agit-il de la même fascination pour les spectacles macabres qu’on prisait dans les cruels jeux romains (gladiateurs, fauves, etc.) ou lors d’exécutions publiques du Moyen Age?

Des penseurs comme Sigmund Freud reconnaissent ces penchants à l’agressivité et ces violentes pulsions comme un trait universel de l’humanité (n.d.l.r.: ce que la Bible appelle notre «nature de péché») et parlent de la nécessité de les endiguer par des lois et par des notions comme la pudeur, le dégoût et la compassion. Cette dernière permet, en considérant la victime de violences comme son semblable, de souffrir avec elle et, par conséquent, d’agir en sa faveur. La compassion est donc une réponse efficace à la banalisation de «l’horreur-réalité» (qui diffère de la téléréalité par sa cruauté, et surtout par le fait que les victimes n’ont pas donné leur accord à ce jeu de voyeurisme).

Ces faits posent bien sûr la question des limites à mettre aux libertés d’expression et d’information. Notre liberté d’expression doit éviter de blesser, d’insulter ou d’humilier autrui. La liberté d’information, qui concerne d’abord les journalistes et les photographes, est plus complexe à définir; elle a tant à voir avec la vérité et avec l’objectivité qu’avec l’utilité pour le public. Les vidéos macabres ne suscitent ni d’analyses ni de réflexions, mais confortent l’indifférence ou la fascination. Toute l’ambiguïté du net réside dans le fait que ce tri, ou censure, n’est pas fait à la source, mais ressort de la responsabilité de chaque internaute.

Le fait d’être constamment en contact avec la violence crée une sorte d’accoutumance qui émousse les émotions et atténue la colère devant ces injustices, jusqu’à s’habituer à la cruauté, à s’en accommoder et à faire passer la compassion face à la souffrance pour de la faiblesse. C’est à ce processus que nous sommes en train d’assister, où, devant ces vidéos, le dégoût et la compassion font progressivement place à l’acceptation insensible ou à la résignation d’un certain public. Quand nous cherchons volontairement à regarder ce genre d’images, nous nous plaçons dans une position de confort, hors de ces scènes cruelles et monstrueuses, comme si, par écran interposé, la réalité n’était plus qu’une image virtuelle.

Source: "La mort spectacle" de Michela Marzano (Editions Gallimard), résumé par Anne Kreis

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